Voici 80 ans : la libération de l’usine Morane-Saulnier

Cette année au mois d’août nous fêtons les 80 ans de la Libération, notamment celle de l’usine de Tarbes. Une histoire dans l’histoire car la guerre ne s’est pas arrêtée avec le débarquement de Normandie et bon nombre d’épisodes se sont déroulés avant la libération du territoire. L’histoire commence en avril 1941. Depuis plusieurs mois, Raymond Saulnier, préside la chambre syndicale de l’industrie aéronautique, l’interlocuteur du comité de l’industrie aéronautique du ministère de l’Air, l’unique « client » des avionneurs français après l’Armistice de Juin 1940. C’est vraisemblablement par cette position, que Raymond Saulnier obtient de se faire affecter une usine en zone non-occupée, dite de Tarbes-Ossun, de la Société nationale de construction aéronautique du Midi (SNCAM). Ce site, qui devait assembler les chasseurs Dewoitine 520, n’a pas eu le temps de commencer à livrer des avions et la société a été absorbée par la société nationale du Sud-Est qui reprend uniquement ses installations toulousaines. Le site bigourdan en sommeil depuis l’Armistice est donc réveillé par l’arrivée de techniciens et de matériel de Morane-Saulnier venus de Puteaux en ordre dispersé, quasiment clandestinement. Ils vont commencer par installer des outillages pour assembler des avions. Au même moment l’usine de la région parisienne est réquisitionnée par la firme Fieseler pour construire son Fi-156 Storch, fameux avion d’observation à décollage et atterrissage court.

Une petite partie du personnel parisien a pu ainsi rejoindre le site alors en zone libre et commencer à travailler sur des projets d’avions militaires, comme le MS 470 d’entraînement à la chasse. Le bureau d’études s’est installé en ville. Pour compléter l’effectif une école d’apprentissage est créée. Officiellement pour la commission d’Armistice, l’usine travaille sur un projet d’avion quadrimoteur civil et diverses évolutions du MS 406 pour des clients approuvés par les accords comme la Troupe d’Aviation Suisse et la Finlande. Ce qui n’exclut pas la participation à des travaux pour la Luftwaffe et ses alliés. Un rare document montre que l’un des prototypes du MS 450 a fait un bref séjour à l’usine avant d’être remis pour évaluation.

C’est aussi la création de l’école d’apprentissage qui va permettre de combler les effectifs avec du personnel qualifié.

L’école d’apprentissage Morane-Saulnier en 1942

Un an et demi plus tard, le 11 novembre 1942, la zone libre est envahie. En Janvier 1943 l’usine est fermée par les forces d’occupation mais elle intéresse les constructeurs allemands : Fieseler et ERLA veulent l’utiliser pour leurs contrats respectifs. Finalement le site réouvre sous le contrôle du constructeur allemand ERLA. Ce dernier sous-traitant de Messerschmitt et de Focke-Wulf amène un encadrement allemand, dirigé par l’ingénieur Keller. Pour éviter de voir partir du personnel, la direction réussit à obtenir suffisamment de travail pour les avionneurs allemands en manque de main d’œuvre et l’école de la Luftwaffe de Pau en partie installée sur l’aérodrome. Grâce à ces travaux, l’effectif passe de 300 à plus de 800 personnes.

Dewoitine 520 remis en état pour l’escadrille JG 101 de la Luftwaffe.

Des employés pas toujours très qualifiés ni compétents mais qui ont pu échapper ainsi au travail forcé en Allemagne, voire pire. On imagine bien le personnel partagé entre le soulagement d’occuper un emploi et la gêne de travailler pour les nazis, même avec un zèle minime. Mais dans ces heures sombres, l’heure est à la survie. Une ambiance très particulière que décrit Roger Mezaille, instituteur embauché comme manoeuvre en 1944, dans un témoignage que vous pouvez retrouver sur ce blog. https://moranesaulnier.org/wp-content/uploads/2017/11/le-sto-c3a0-ossun-1944.pdf

L’année 1944 débute avec un plan de production ambitieux pour ERLA qui prévoit la production à Tarbes de 60 Dewoitine 520 pour la Luftwaffe et ses alliés, avec le rapatriement d’outillages de Toulouse, et un contrat de remise en état de Focke-Wulf 190 revenus du front. Un regain d’activité qui a pour conséquence le bombardement du 10 mars, la production pour l’Allemagne nazie va être limitée à l’assemblage d’une dizaine de D-520 pour la Bulgarie.

La situation se clarifie le 6 juin 1944, lorsque que le gouvernement provisoire français lance depuis Alger le mot d’ordre d’insurrection générale. Dans le sud-ouest, le Corps Francs Pommiès, du nom de son chef, fort de d’environ 12 000 combattants, passe des actions sporadiques à la guerre ouverte.

Les troupes d’occupation, Gestapo et ‘collabos’ sentent le vent tourner. Arrestations, exécutions sommaires et attaques des maquis se multiplient. Le château La Montjoie à Oursbellile, PC des FFI,le 7 juin puis Tarbes le 10 juin sont bombardés par la Luftwaffe. Le maire Maurice Trélut, qui a refusé de dégager l’armée allemande de la responsabilité de ces attaques, est arrêté puis déporté.

Escarmouches et représailles se succèdent. Dessinateur au bureau d’études, Aubert Salles,  qui a rejoint le CFP meurt dans une embuscade le 13 juillet à Monassut à tout juste 19 ans.

Adrien Peyrade, contrôleur de l’usine, lui aussi au CFP, est arrêté et fusillé, lui aussi après une combat  le 10 juillet à Higuères-Souye (Pyrénées Atlantiques) tandis que le même jour les troupes allemandes affrontent le maquis à Payolle.

En août dans la foulée du débarquement de Provence la Résistance passe à l’offensive dans les Hautes Pyrénées.

Le 18 août la garnison allemande de Tarbes s’est retranchée au quartier Larrey, rejoint par un détachement SS.

La Luftwaffe qui a rapatrié ses avions dès le 20 juin n’a gardé qu’un détachement chargé de surveiller l’usine tandis que l’encadrement allemand est parti. D’après un rapport des services secrets alliés, il ne restait que 5 FW 190 à l’usine, dont 4 en attente de moteurs. Le 19 août, l’officier commandant le détachement, le lieutenant Bryer, cerné par les FFI, accepte de ne pas détruire l’usine laissant ses soldats décider de se constituer prisonniers ou de rejoindre la garnison qui va tenter une sortie. Le même jour Lourdes est libérée. Les troupes allemandes évacuent Tarbes mais tombent dans une embuscade sur la route de Toulouse. L’usine a repris le travail sur les avions. Cette fois au profit de la résistance.

Jean Cliquet, pilote d’essais de Morane-Saulnier prend la pose devant un Dewoitine 520 remis aux couleurs françaises pour l’escadrille des forces françaises de l’intérieur.

Le 20 août, Marcel Doret, pilote d’essais de Dewoitine, visite l’usine pour constituer une escadrille de chasseurs D-520 pour soutenir l’action des FFI. Le 23 août un premier avion est remis en état et déclaré bon de vol. Jean Cliquet, le pilote d’essais de Morane-Saulnier, prend la suite. Alors que le 24 août le département peut enfin fêter sa libération, le personnel a repris le chemin des ateliers pour remonter une vingtaine d’avions D 520 qui vont participer aux combats de la Libération.

Les travaux ont aussi repris sur un nouvel avion d’entraînement militaire en développement, le MS 470. Caché démonté dans un garage de Lourdes, le prototype est ramené et remonté à l’usine dans les mois qui suivent. Et le 6 février 1945, Jean Cliquet, de retour de combat, a repris son poste à l’usine et fait voler le MS-470-01, premier avion nouveau français à voler depuis la Libération.  Mais ceci est une autre histoire…

2 réflexions sur « Voici 80 ans : la libération de l’usine Morane-Saulnier »

  1. Avatar de christianravel

    Bonjour et très intéressant. Juste une suggestion: en fin de cette page, il est indiqué: Ce blog a pour objectifs de faire la promotion et de préserver l’histoire de la société Morane-Saulnier d’octobre 2011 à nos jours. Ne serait-ce pas 1911?

    Amitiés

    Christian RAVEL

    Vice-Président patrimoine et archives Angers-Loire-Aéroport 49140 Marcé

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    1. Avatar de Morane-Saulnier

      Merci Christian de nous avoir signalé ce bug. La difficulté sur internet c’est parfois de retrouver le bloc de texte à corriger.

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